En même temps qu'elle réfléchit à ses rivières nos vies, nos pensées, l'eau avance.
Le temps avance. Vers l'embouchure finale. Chaque fois individuelle, chaque fois renouvelée. La réflexion se fait toujours en allant, en marchant. C'est pourquoi le poème est ici " parlé marché ". Pourquoi il dialogue avec l'immobilité de la peinture (Rembrandt, Rubens, Mondrian, de Kooning, van Eyck, Spilliaert, Ensor etc...). Pourquoi il bouscule la philosophie (Descartes, Husserl, Heidegger). Pourquoi il marche joyeusement à travers la barrière des langues (Bruxelles, la Flandre).
Pourquoi il réfléchit à l'Europe d'aujourd'hui, belle abstraction sans corps réel. Sans corps sensuel. Pourquoi enfin il se réjouit du goût des nourritures (les huîtres, les moules, la bière, le pain d'épice). Ici le poème réfléchit à la réflexion. Au réfléchissement et au mouvement qui nous emporte vers le large. Quel large ? C'est à venir. À deviner. À devenir.
Pourquoi une jolie immigrée russe fait-elle du vélo fixe dans un appartement rempli d'hommes qui hurlent ? Comment réagir quand un magicien découpe vraiment sa femme en deux ? Quelle est l'influence d'un tableau de Munch sur la vie dans un grand ensemble ?
Alain Berenboom trace, tout au long de ces nouvelles, le portrait d'une Belgique burlesque et désespérée, sensuelle et nostalgique, où tout est possible : les aventures d'un pharmacien dans un quartier populaire à la fin des années cinquante ; celles d'un épicier lituanien, Superman dans le Bruxelles d'aujourd'hui ; les déboires d'un prisonnier qui aimait trop le savon ; les surprises d'un diplomate égaré dans un cinéma de Jérusalem ; la définition d'un écrivain belge et les raisons qui expliquent que son manuscrit ne soit jamais publié ; l'utilité de connaître Shakespeare en version originale lorsqu'on est Mongole et coincée à l'aéroport de Bruxelles...
Né en 1913, Henry Bauchau a traversé le siècle. Il ne publie son premier recueil poétique qu'en 1958. Pourtant, il y a un poète qui s'ignore dans le chroniqueur d'avant-guerre, dans le combattant de 1940, dans le citoyen engagé dans l'action sociale sous l'Occupation ; il y a un être d'action dissimulé dans l'écrivain. Ce sont ces deux pans de la vie de Bauchau qui sont abordés dans ce travail, fruit des efforts conjugués de deux historiens et d'une spécialiste de la littérature contemporaine. Le travail des premiers, - bâti sur la base d'archives pour une bonne part inédites -, trouve son prolongement naturel dans l'analyse de la seconde : aucun des deux objets, historique et imaginaire, n'est indépendant, et leur corrélation permet d'éclairer un parcours certes singulier, mais inscrit dans une dynamique générationnelle.
L'Exil du Centaure est l'histoire déchirante d'une jeune femme à travers ses fantasmes, à travers son passé.
Une histoire d'amour aussi, où s'exacerbent romantisme, violence et passion. Ce roman poignant qui, à sa sortie en 1982, bénéficia des faveurs du public et obtint le Prix du roman de la Ville de Bruxelles, méritait d'être enfin réédité.
Il n'est pas d'art plus subordonné à la mémoire que le théâtre.
Et pas seulement parce que les acteurs sont censés connaître leur texte " par coeur ", ce qui fascine le profane et est en réalité le cadet de leurs soucis. Si le théâtre dépend d'une mémoire, c'est de celle de ses spectateurs. On ne rappellera jamais assez que tout un chacun, grâce aux techniques d'archivage modernes, peut se doter d'une culture littéraire, musicale, cinématographique, plastique au prix d'une immersion dans un musée imaginaire rendu possible par le développement des supports mécaniques.
Dans le théâtre, rien de pareil, parce que rien ne permet de conserver une représentation à l'identique, qui suppose la coïncidence de deux consciences en action, celle de l'acteur et celle du spectateur, et puis la décantation, dans le souvenir de ce dernier, de ce qu'il a vu, capté, éprouvé, éléments singuliers, au surplus, liés à sa propre subjectivité, à sa propre réserve d'expérience et de culture qui lui font enregistrer certaines choses et pas d'autres, différentes de celles que ses voisins ont, pour leur part, retenues.
On peut en conclure un peu vite que faire dès lors l'histoire du théâtre est chose impossible. Il se trouve que l'on ne se résout pas à cette amnésie, que l'amour du théâtre est le plus fort, que le désir de le prémunir de l'oubli l'emporte sur le constat de carence. Cette contradiction est la base de notre entreprise : retracer cent ans de théâtre en Belgique francophone, ces cent années qui constituent l'essentiel de cette activité dans nos contrées.
Ayguesparse poète, Ayguesparse romancier, Ayguesparse critique ont longtemps occulté le nouvelliste, et cela méritait réparation.
D'autant que les principales préoccupations de cet écrivain majeur (1900-1996) se retrouvent dans les trois recueils qu'il publia entre 1962 et 1985, dans son grand âge en somme. Il y brasse des récits glanés au fil de sa vie, on y décèle les retombées d'expériences historiques qu'il a traversées, comme la guerre d'Espagne ou le deuxième conflit mondial. L'écrivain engagé se devine, mais comme posté à la distance que suppose l'écriture à portée universelle.
Selon toute vraisemblance, Le partage des jours, La nuit de Polastri nous révèlent aussi la diversité de ses attentions, la vaste gamme de ses registres. Il a une visée principale : celle d'atteindre et de traduire la chair et l'âme de ses personnages, les ressorts de leurs passions, la forme de leurs rêves. Quel que soit le rythme de la narration, précipité ou nonchalant, direct ou ambigu, le lecteur est toujours ramené à quelque équation fondamentale de l'existence, à un reflet de notre univers dérisoire et fascinant.
Tantôt drames de la misère quotidienne, tantôt contes lyriques, voire fantastiques, ces nouvelles sont celles d'un maître du genre, qui sous cette forme aussi se profile comme l'un des grands auteurs belges du vingtième siècle, seul au demeurant à l'avoir traversé quasiment de bout en bout.
Bruxelles, pôle d'attraction en 1900, le port d'Amsterdam, la guerre civile espagnole, l'Afrique du Sud...
Ne font qu'annoncer le mystère qui plane sur une famille belge. Le silence s'est fait sur l'extrême pauvreté de ses origines en Flandre agricole, après le typhus, la famine, le prolétariat des villes et le choléra du XIXe siècle. Silence aussi sur un désastre inexplicable dont le mot clé est une charrette qui part de Lapsceure... Mais voici la génération de la fin du siècle, l'émigration, le curé en Oklahoma qui sera prélat du pape, le début des luttes sociales, l'école militaire en 1910, quatre fils au front dans les tranchées, la Société des Nations, le Congo.
Et à travers ses vies parallèles : le quotidien, la destinée, mais surtout la force de vivre qui dicte sa loi. La Charrette de Lapsceure constitue le dernier volet de la trilogie La Passion et les Hommes.