Après Le droit d'emmerder Dieu, éloge du droit au blasphème, Richard Malka revient sur l'origine profonde d'une guerre millénaire au sein de l'Islam : la controverse brûlante sur la nature du Coran.
Plus qu'une plaidoirie, ces pages mûries pendant des années questionnent ce qu'il est advenu de l'Islam entre le VIIème et le XIème siècle, déchiré entre raison et soumission.
Les radicaux ont gagné, effectuant un tri dans le Coran et les paroles du Prophète, oppressant leurs ennemis - au premier rang desquels les musulmans modérés, les musiciens, artistes, philosophes, libres penseurs, les femmes et minorités sexuelles.
Plonger avec passion dans cette cassure au sein d'une religion n'est pas être « islamophobe », c'est regarder l'histoire en face.
Traité sur l'intolérance est une méditation puissante, un appel aux islamologues du savoir et de la nuance - pour qu'enfin chacun sache, comprenne, échange, s'exprime.
« C'est à nous, et à nous seuls, qu'il revient de réfléchir, d'analyser et de prendre des risques pour rester libres. Libres de nous engager et d'être ce que nous voulons. C'est à nous, et à personne d'autre, qu'il revient de trouver les mots, de les prononcer, de les écrire avec force, pour couvrir le son des couteaux sous nos gorges.
À nous de rire, de dessiner, d'aimer, de jouir de nos libertés, de vivre la tête haute, face à des fanatiques qui voudraient nous imposer leur monde de névroses et de frustration - en coproduction avec des universitaires gavés de communautarisme anglo-saxon et des intellectuels qui sont les héritiers de ceux qui ont soutenu parmi les pires dictateurs du XXe siècle, de Staline à Pol Pot. » Ainsi plaide Richard Malka, avocat de Charlie Hebdo, lors du procès des attentats de janvier 2015. Procès intellectuel, procès historique, au cours duquel l'auteur retrace, avec puissance, le cheminement souterrain et idéologique du Mal. Chaque mot pèse. Chaque mot frappe. Ou apporte la douceur, évoquant les noms des disparus, des amis, leurs plumes, leurs pinceaux, leur distance ironique et tendre.
Bien plus qu'une plaidoirie, un éloge de la vie libre, joyeuse et éclairée.
Ginette Kolinka, qui va fêter ses 98 ans, habite le même appartement depuis qu'elle a dix ans.
Elle a toujours vécu là, rue Jean-Pierre Timbaud, au coeur de Paris, à l'exception de trois ans : de 1942 à 1945.
Cet appartement, c'est sa vie qui défile devant nos yeux. Il y a les portraits de ceux qui ne sont pas revenus de Birkenau : son père, son petit frère, son neveu.
Les disques d'or de son fils unique, Richard, batteur du groupe Téléphone.
Les photos de ses cinq soeurs, Ginette est la cadette, des petits-enfants, des arrière-petits-enfants.
Les dessins des écoliers, à qui elle raconte désormais son histoire, tous les jours, aux quatre coins de la France.
Et même les meubles qu'ont laissés les « collabos ».
Ginette nous fait la visite.
On traverse le temps : l'atelier de confection de son père, la guerre, ce mari adorable et blagueur. Les marchés, qui l'ont sauvée. Et les camps qui affleurent à chaque page, à chaque pas.
Mais Ginette, c'est la vie ! Le grand présent. « On me demande pourquoi je souris tout le temps, mais parce que j'ai tout pour être heureuse ! »
Célébrer la liberté, ne pas craindre l'incorrect, ne pas fuir la mort, chercher la bagarre, danser après l'échec, refuser l'abus des normes, tuer le principe de précaution, ne pas s'attarder à vivre, être pleinement l'homme ou la femme que l'on veut être, aimer la solitude, oser croire, chérir l'inutile, aventurer la vie sans cesse : voilà ce que proposent les auteurs de cet ouvrage pour affronter notre époque de doute et de désarroi.
Les pandémies, les catastrophes naturelles, l'intelligence artificielle nous poussent vers le repli jusqu'à la tétanie. Dans ces pages vives et ardentes, Andrea Marcolongo, Patrice Franceschi et Loïc Finaz combattent sans concession la peur et la prudence qui l'emportent aujourd'hui trop souvent sur la liberté. Puisque le risque est consubstantiel à la vie, faisons preuve de courage intellectuel et moral. Bref, retrouvons le goût du risque.
Bien plus qu'un libelle contre nos temps d'asphyxie, un éloge de la vie, imprévisible et joyeuse.
« Michel Louise. Née le 29 mai 1830 à Vroncourt. Profession institutrice. Religion idolâtre. Matricule 9. Coupable 1/ de Port d'armes apparentes étant revêtue d'un uniforme, pendant un mouvement insurrectionnel. 2/ d'avoir fait usage de ces armes. ».
Ainsi s'ouvre le dossier pénitentiaire de celle qui fut embarquée et encagée vers le bagne de Nouvelle Calédonie en 1872, où elle vivra presque dix ans, avant de revenir en métropole poursuivre son combat. Ce n'est que le premier des dossiers instruits contre elle. Toute sa vie, cette figure puissante de la Commune, féministe et anarchiste qui a dédié sa vie à la révolution, sera placée sous surveillance par la République et sa police, et plusieurs fois arrêtée. C'est en prison, qu'elle rédige ses mémoires.
Dans la lignée de sa série pour France Culture, Judith Perrignon nous offre le destin de cette femme exceptionnelle, en même temps qu'un voyage dans les archives officielles. Des procès, des rapports, des courriers, des rumeurs d'indics, des filatures, pour creuser au-delà d'une biographie, le sillage des révolutions jusqu'à la Commune, cette guerre civile française jamais nommée, si peu enseignée dans les classes, et parvenir à ce moment fondateur de la fin du 19ème siècle, « ce qu'on appelle la République française », ricanait Louise Michel dans une lettre envoyé depuis le bagne à ceux qui l'y avait envoyée. « Au revoir messieurs, à bientôt ! » signait-elle.
Portrait d'une femme, d'une époque agitée par l'idéal et les idées : Judith Perrignon fait entendre avec puissance et émotion les voix d'alors.
« Accusé, levez-vous ! Eh oui, né au milieu des années 1950, donc responsable, heureusement pas tout seul, de tous les maux de la planète. La génération de mes enfants et plus encore celle des milleniums me taxent d'inconscient, voire de criminel coupable d'un écocide. Pourtant, je suis naturaliste, paléontologue et biologiste, j'ai passé des années comme chercheur au CNRS, puis comme Président du Muséum national d'histoire naturelle à prendre la parole et la plume pour alerter, pour défendre la cause de l'environnement et de la biodiversité. C'est dire que j'y suis sensible ! En dépit de cela, je suis a priori coupable de ne pas l'avoir fait assez tôt, de ne pas avoir assez tôt accordé mes paroles et mes actes. Mais était-ce si simple ? Que savons-nous de ces périodes de consommation frénétique? Étaient-elles d'ailleurs si frénétiques ? Et à quelle époque ai-je approché, senti puis vraiment compris que nous étions dans l'irréversibilité ? » Dans ce texte personnel et éclairé, Bruno David nous raconte sa prise de conscience environnementale au fil des décennies. De son enfance à ses études scientifiques, d'un épisode de pêche dans un fleuve aux eaux incertaines au rivage tragique d'une marée noire,, d'un premier rapport du GIEC à une discussion avec un climato-négationniste qui s'ignore, d'une décennie froide à un été irrespirable, il nous livre ses doutes, ses inquiétudes fugaces, parfois contre-intuitives puis de plus en plus rationnelles, jusqu'à l'année irréversible...
Un récit unique en son genre, mêlant portraits, choses vues, chiffres clés et lutte contre les a priori ou l'ignorance. Quand un grand scientifique nous guide librement sur le chemin de la connaissance et de la transformation de notre monde. A placer entres toutes les mains !
A l'heure où la destruction des forêts suscite les plus vives inquiétudes, souvenons-nous que l'humanité et les arbres ont toujours formé un duo vital. Amoureux des forêts qu'il arpente depuis l'enfance, Dominique Roques évoque avec une lucidité sensible la magie de ses rencontres avec plusieurs grandes espèces d'arbres, tout en mettant en lumière les contradictions d'une économie essentielle à l'humanité.
Car les humains ont grandi parmi les arbres et grâce à eux. Depuis l'invention de la hache, le même paradoxe est à l'oeuvre : en coupant du bois, la population se sédentarise et abat toujours plus d'arbres. De sorte qu'en un peu plus d'un siècle, nous avons coupé la moitié des forêts de la planète. Une accélération mortifère.
Bucheron, sourceur, grand voyageur, à travers le fil conducteur du parfum, omniprésent de la cime des pins aux fumées du charbon de bois, Dominique Roques restitue magistralement le destin de forêts exceptionnelles. Les mythiques cèdres du Liban, qui servirent à ériger le temple de Salomon. Les hêtres d'Europe, symboles de mystère et de danger, abattus pour faire reculer le monde sauvage. Les séquoias géants de Californie, décimés par l'arrivée de la mécanisation, qui firent naître la conscience écologique américaine. Ou encore le gaïac bleu, bois saint du Paraguay, refuge des populations guarani. Autant d'histoires fabuleuses et souvent tragiques.
Tout sépare l'arbre, programmé pour une forme d'éternité, et l'homme, sur terre un court instant. Des Gingko ont survécu à Hiroshima, Tchernobyl est aujourd'hui densément boisé : quoiqu'il leur arrive, coupées, brûlées, les forêts repoussent, tissant inlassablement ce que nous déchirons. Mais en abîmant les arbres, c'est nous-même que nous mettons en péril.
Aussi, à la suite du Giono de L'homme qui plantait des arbres, ce récit d'une écriture magnifique appelle à protéger, restaurer et replanter les forêts sauvages. Si la nature a besoin de nous, nous avons encore plus besoin d'elle. Il y a urgence. Réconcilions-nous avec ce dernier refuge contre le bruit et la fureur des hommes.
Au déterminisme occidental qui a élaboré une ontologie féminine essentiellement victimaire, résumant la condition des femmes à un assujettissement par les hommes, Léonora Miano répond en proposant « l'autre langue des femmes », qui expose les accomplissements des femmes du continent africain. L'Afrique seule a enfanté des dynasties de « grandes royales », qui contredisent le postulat occidental selon lequel le récit traditionnel évacue la mémoire des femmes.
S'appuyant sur l'histoire, les mythes, spiritualités et pratiques sociales des Subsahariennes, l'auteur montre que l'Afrique au sud du Sahara est dépositaire d'un riche matrimoine permettant de comprendre et de célébrer la force du féminin. Il n'est pas question ici de diviniser les personnalités présentées, mais de révéler la variété des profils que l'Afrique offre au monde. Sur ce continent, les femmes s'illustrèrent dans tous les domaines. La conception subsaharienne du genre ne les éloigna pas des champs de bataille : les guerrières subsahariennes ne sont pas du « deuxième sexe » !
Les Subsahariennes régnèrent sur des sociétés patriarcales, donnèrent une terre à leur peuple en exil, firent du plaisir sexuel un droit, ne révérèrent pas la virginité. Elles s'engagèrent dans les luttes anticoloniales qu'elles financèrent souvent grâce à leur fortune personnelle. Ces femmes, dont les parcours restent méconnus, créèrent des sociétés non-mixtes dont certaines furent très influentes. Parce qu'elles surent inventer leurs propres espaces sans tenter de prendre d'assaut les fiefs masculins, elles se donnèrent du pouvoir. Aujourd'hui encore, dans des environnements déstructurés par le colonialisme qui leur fit perdre leurs anciennes prérogatives, les Subsahariennes se caractérisent par leur dynamisme et leur autorité. Sans avoir eu besoin d'élaborer de théorie, elles parlèrent cette autre langue qu'il leur faut redécouvrir et transmettre. L'autre langue des femmes, c'est la parole particulière qui émerge lorsque l'on se définir en soi et pour soi, et non « en creux » à partir de l'action négative de l'autre sur soi.
En dépit de la richesse et de la diversité de leur contribution à l'Histoire mondiale des femmes, l'expérience des Africaines subsahariennes reste marginalisée. On ne s'identifie pas à elles, mais on prétend leur dicter la marche à suivre pour s'émanciper. À travers une critique de l'hégémonie des Occidentales, l'ouvrage réfléchit aux relations entre femmes. La « sororité » dont on espère l'avènement à l'échelle du monde est pour l'heure compromise : l'histoire a doté les unes d'un pouvoir symbolique, politique et économique dont les autres ne jouissent pas. Tandis que l'on se plaint de la domination masculine, on omet d'évoquer cette dissymétrie qui fait de certaines des oppresseurs, volontaires ou non. Cette situation justifie que les Subsahariennes se déterminent en toute autonomie, élaborent un discours tenant compte de leurs parcours, de leurs réalités, de leurs aspirations.
Dans ce livre, le premier qu'il consacre au racisme, Dany Laferrière se concentre sur ce qui est peut-être le plus important racisme du monde occidental, celui qui dévore les Etats-Unis. Les Noirs américains : 43 millions sur 332 millions d'habitants au total - plus que la population entière du Canada. 43 millions qui descendent tous de gens exploités et souvent martyrisés. 43 millions qui subissent encore souvent le racisme. Loin d'organiser une opposition manichéenne entre le noir et le blanc, précisément, Dany Laferrière précise : « On doit comprendre que le mot Noir ne renferme pas tous les Noirs, de même que le mot Blanc ne contient pas tous les Blancs. Ce n'est qu'avec les nuances qu'on peut avancer sur un terrain si miné. » Voici donc un livre de réflexion et de tact, un livre littéraire. Mêlant des formes brèves que l'on pourrait rapprocher des haïkus, où il aborde en général les sensations que les Noirs éprouvent, et de brefs essais où il étudie des questions plus générales, Dany Laferrière trace un chemin grave, sans jamais être démonstratif, dans la violence semble-t-il inextinguible du racisme américain. « Mépris », « Rage », « Ku Klux Klan » alternent avec des portraits des grands anciens, Noirs ou Blancs, qui ont agi en noir ou en blanc : Charles Lynch, l'inventeur du lynchage, mais aussi Eleanor Roosevelt ; et Frederick Douglass, et Harriet Beecher Stowe, l'auteur de La Case de l'oncle Tom, et Bessie Smith, à qui le livre est dédié, et Angela Davis. Ce Petit traité du racisme en Amérique s'achève sur une note d'espoir, celui que Dany Laferrière confie aux femmes. « Toni, Maya, Billie, Nina, allez les filles, le monde est à vous ! »
René Girard aurait eu cent ans, le 25 décembre 2023. Théoricien génial de la littérature et des mythes, sa carrière s'est déroulée entre la France et les États-Unis, qu'il a rejoints en 1947, après l'effondrement de son pays et la tragédie de la Seconde Guerre mondiale. Figure majeure de la pensée du xxe siècle, il a laissé une oeuvre considérable. Mais la vie de ce penseur unique restait à écrire.
Cet essai biographique suit le parcours et les textes d'un écrivain qui voulut dégager la vérité de la littérature et la violence des institutions humaines. Mettant au jour ces deux refus d'entendre que sont le « désir mimétique », d'un côté, le « mécanisme du bouc émissaire », de l'autre, il a fait résonner autrement la parole qui parle dans la Bible et dans les Évangiles.
Mais Girard a aussi été le passeur injustement oublié des ténors de la pensée française, qu'il a fait connaître aux États-Unis : Roland Barthes, Jacques Derrida, Michel Foucault, Lucien Goldmann, Jacques Lacan ou Jean-Pierre Vernant, sans oublier ces figures fondamentales qu'ont été pour lui Claude Lévi-Strauss et Jean-Paul Sartre.
C'est ce pont entre deux rives que l'on restaure ici. Fruit de dix ans de recherches, avec René Girard lui-même dont l'auteur était proche, avec sa famille, ses amis, grâce à de nombreux témoins, des textes inédits et une correspondance abondante dont il fallut faire l'inventaire, cette biographie intellectuelle se lit comme le roman d'un siècle de bruit et de fureur.
« Puisque mon désir de vivre en dehors des prescriptions normatives de la société binaire hétéro-patriarcale a été considéré comme une pathologie clinique caractérisée sous le vocable de « dysphorie de genre », il m'a paru intéressant de penser la situation planétaire actuelle comme une dysphorie généralisée. Dysphoria mundi : la résistance d'une grande partie des corps vivants de la planète à être subalternisés au sein d'un régime de savoir et de pouvoir patriarco-colonial. » Tel est le point de départ de ce livre de « philosophie documentaire » où l'auteur, malade du covid et enfermé seul dans son appartement, emprunte à tous les genres (essai, fiction, journal) pour raconter à sa façon un monde dont les différentes horloges se sont synchronisées au rythme du virus, mais aussi du racisme, du féminicide, du réchauffement climatique... et de la rébellion à venir. Une manière de carnet philosophico-somatique d'un processus de mutation planétaire en cours.
Si la modernité disciplinaire était hystérique ; si le fordisme, héritier des séquelles des deux guerres mondiales sur la psyché collective, était schizophrène ; le néolibéralisme cybernétique, lui, est dysphorique.
L'hypothèse centrale de cet essai : les événements qui se sont produits pendant la crise du covid à l'échelle mondiale marquent le début de la fin du réalisme capitaliste.
Sommes-nous condamnés à croire tout savoir et ne rien pouvoir faire pour changer le cours des choses (paranoïa conspirationniste) ou continuer à tout faire de la même manière mais sentir que plus rien n'a de sens (dépression individualiste) ? Non : il est possible de franchir le pas vers une autre épistémologie terrestre. Encore faut-il refuser la nouvelle alliance du néolibéralisme numérique, des rhétoriques néo-nationalistes, l'explosion des inégalités économiques, des violences raciales, sexuelles et de genres, la destruction de la biosphère pour initier un profond processus de décarbonisation, de dépatriarcalisation, de décolonisation : c'est l'« hypothèse révolution » dont ce livre pose les prolégomènes...
Marie-Claude Vaillant-Couturier, dite Maïco, est la fille gâtée de Lucien Vogel, éditeur d'avant-garde, et Cosette de Brunhoff, soeur du créateur de Babar. Adolescente à l'aube des années 30, Maïco danse aux bals russes, pose pour Vogue, croise Aragon, Picasso, Gide, Malraux, bien d'autres... Apprentie peintre à Berlin en pleine montée du nazisme, elle en revient métamorphosée et se tourne vers la photo. Elle fréquente alors les jeunes Capa, Cartier-Bresson, Gerda Taro, qui, comme elle, voient en l'URSS le seul rempart contre le nazisme. En 1933, son reportage clandestin au camp de Dachau est un scoop mondial.
Elle rencontre alors Paul-Vaillant Couturier, rédacteur en chef de L'Humanité, leader communiste et prophète vénéré des « lendemains qui chantent ». Coup de foudre absolu. L'amour et la politique ne feront désormais qu'un. A la mort de Paul, en 1937, la jeune veuve de 25 ans incarne les espoirs du héros du Front Populaire. Résistante de la première heure, déportée à Auschwitz puis à Ravensbrück, son courage est inébranlable. Libérée par l'Armée Rouge, elle choisit de rester auprès des mourants et afin que « le monde sache l'horreur concentrationnaire ».
Seule femme à témoigner au procès de Nuremberg, Maïco avance sans faillir vers Göring et les accusés nazis, devant une assistance saisie par un « effroi sacré », selon Joseph Kessel. Les images de sa déposition implacable font le tour du monde. « Regardez-moi, car à travers mes yeux, ce sont des centaines de milliers de morts qui vous regardent, par ma voix ce sont des centaines de milliers de voix qui vous accusent ». Devenue député, elle fera voter à l'Assemblée Nationale l'imprescriptibilité des crimes contre l'humanité, sans jamais renier son dévouement à l'URSS et sa foi communiste.
À l'ère des fake news et autres faits alternatifs, il est revigorant de relire ce qu'Umberto Eco avait à dire sur le sujet. Avec sa clarté, et son gai savoir habituels, le grand écrivain italien déconstruit les notions de mensonge, de faux et de falsification, dont il a si souvent joué dans ses fictions. L'humaniste emprunte autant à l'histoire de la logique, à la philosophie du langage qu'à la littérature, pour nous parler d'éthique, de mauvaise foi, d'ironie et d'authenticité. Car encore faut-il connaître la vérité pour mentir tout en disant le faux.
Eco nous rappelle que notre capacité à évoluer dans le monde avec sécurité se fonde sur le contrat social, et que notre meilleur allié contre les mensonges et les falsifications reste le temps puisque - presque toujours - celui qui ment ou falsifie finit par être découvert.
Dans cet essai aussi bref que réjouissant, le grand intellectuel italien nous offre des clés pour démêler le vrai du faux.
Traduit de l'italien par Myriem Bouzaher
« Règle 30 : il n'y a pas de filles sur Internet. » Cet adage qui circule sur certains forums depuis le début des années 2000 illustre l'accueil réservé aux femmes en ligne. Le monde numérique tisse nos vies à tous et pourtant, il a un problème avec la diversité : il l'oublie et l'agresse, jusqu'à menacer la démocratie. En analysant les ressorts de la haine en ligne, en dévoilant le sexisme et le racisme qui président au fonctionnement de l'industrie et en proposant une contre-histoire du numérique, ce sont les racines et les effets concrets de cette marginalisation que décortique méthodiquement Technoféminisme.
On y observe des communautés masculinistes, auxquels les géants numériques ont permis de se rassembler sous couvert de promotion de la liberté d'expression. Leurs adeptes, se proclamant parfois « célibataires involontaires », multiplient les actions violentes et font toujours plus de victimes - harcèlement, divulgation d'informations personnelles et d'images intimes, jusqu'au meurtre. Leurs idées excluantes les transforment en relais des extrêmes-droites qui fleurissent un peu partout dans le monde.
On y croise la route de l'auteure du premier programme informatique, aussi, Ada Lovelace, brillante mathématicienne et fille de Lord Byron. D'Hedy Lamarr, qui a passé plus de temps à inventer toutes sortes d'objets qu'à jouer devant les caméras. Ou de Katherine Johnson, dont le talent repoussa les limites imposées par la ségrégation au sein de la NASA. On y rencontre, encore, des chercheuses et des activistes à l'oeuvre pour faire évoluer nos mondes numériques à mesure qu'ils s'étendent, des premiers espaces connectés jusqu'au champ de l'intelligence artificielle.
Dans cet enquête unique en son genre, Mathilde Saliou explique les dessous d'un monde fait par et pour des hommes : les effets discriminants de nombre d'algorithmes sur la société, le financement biaisé de la tech par l'entre-soi masculin du capital-risque, la façon dont le consentement de chacun est sans cesse forcé par les géants du Net pour tirer profit de nos données... Interviewant universitaires, ingénieures, activistes, précurseuses, elle dégage aussi des pistes de résistances à l'architecture discriminatoire du numérique, des manières de prendre le pouvoir pour dessiner des futurs technoféministes.
Mai 1940. La France succombe, son vin aussi. Aussitôt nommés par l'administration d'occupation, les « Weinführer », délégués officiels dans les vignobles de Bordeaux, de Bourgogne, de Champagne et de Cognac s'emparent, avec la complicité de nombreux professionnels français, du « plus précieux des trésors de France », selon les mots d'Hermann Goring, qui a très tôt associé sa voracité pour les oeuvres d'art à une soif inextinguible des plus grands nectars français.
Bâti sur des sources exceptionnelles, fonds économiques et judiciaires, archives et documents privés, ce passionnant et exhaustif Vin des nazis révèle comment, au coeur des plus grands vignobles, sur les tables des grands restaurants et des palaces parisiens, la défaite française a vite été noyée dans le vin, grisant les collaborateurs sans scrupules, les brasseurs d'affaires véreux, jusqu'aux pires criminels reconvertis dans la Gestapo française, dont l'équipe Bonny-Lafont. En spoliant les vignobles français pour alimenter la mondanité nazie mais aussi pour soutenir l'effort de guerre du IIIe Reich, les occupants ont détourné des volumes colossaux, de grands crus au vin ordinaire, provoquant une pénurie inédite, un rationnement brutal et une hausse vertigineuse des prix touchant l'ensemble de la population, à une époque où le vin était un élément capital de la vie quotidienne.
De personnalités éminentes, dirigeants de prestigieuses maisons, s'insinuent dans ce cambriolage à l'échelle d'une nation : Henri Leroy, propriétaire de la Romanée-Conti en Bourgogne et producteur d'alcools de vin pour les carburants du Reich, Melchior de Polignac, propriétaire de la maison Pommery et cofondateur du groupe « Collaboration », ou Louis Eschenauer, « l'empereur des Chartrons », intime des chefs militaires allemands à Bordeaux. Le vin s'est imposé comme un puissant vecteur de la collaboration, valorisé par Pétain et l'État français. Loin d'être réservé aux élites du pouvoir hitlérien, il s'est diffusé dans la société allemande tout entière.
Une fresque captivante et dérangeante du vin au temps des heures sombres.
« Après les attentats de 2015, la laïcité fut invoquée et convoquée. Dans les collèges et lycées du pays, le élèves furent rassemblés et des leçons de laïcité leur furent administrées. Après l'horrible assassinat de Samuel Paty, les enseignants ont de nouveau été instruits d'informer leurs élèves sur la laïcité. Le drame est qu'ils se sentent tout autant démunis qu'il y a cinq ans, car la laïcité souffre d'une double ignorance. D'abord ceux qui lui sont attachés et sonnent parfois l'alarme, rendent sa défense impossible, faute d'arriver à la définir simplement et clairement. Du coup, elle est perçue par d'autres comme un catéchisme répétitif, un corset vide de sens, voire comme un régime de discriminations, c'est-à-dire rien de ce qu'elle est... La laïcité, qui permet aux croyants et non croyants d'être libres et égaux en droit, est au coeur de l'identité française. Mais la majorité des Français ne sont pas à même de la définir. Ils ne sont pas capables d'expliquer à leurs enfants, à leurs amis, à leurs collègues, comment elle vit en droit et en pratique. De la Laïcité offre pour la première fois et pour tous publics, une définition et une explication fondées sur le droit et sur l'histoire. Son appropriation par le plus grand nombre des citoyens est le premier instrument de sa défense efficace et légitime. ».
Patrick Weil
Pour les croyants musulmans, le Coran est la Parole de Dieu. Selon certains d'entre eux, cette Parole doit être prise à la lettre ; selon les autres, elle peut faire l'objet d'interprétations plus ou moins subtiles. Mais pour la plupart d'entre eux, elle est imprescriptible, elle a valeur absolue, en tous temps et en tous lieux. Cette approche a été transmise depuis des siècles, de génération en génération, comme une évidence indiscutée. Mais elle pose désormais un insidieux dilemme à tous les croyants qui portent une vision sécularisée du monde et se réclament de valeurs humanistes universelles. Assumant le principe de l'égalité en droit des individus, quels que soient leur religion, leur sexe, ou leur appartenance ethnique, ces croyants se trouvent en porte à faux avec nombre de versets coraniques qui vont à l'encontre de ces valeurs. Ils ne peuvent que récuser, par exemple, l'inégalité de statut social entre l'homme et la femme, la pratique de l'esclavage, la violence contre les Infidèles, les châtiments corporels. Le dilemme de ces croyants n'est pas imputable au Coran, mais au dogme selon lequel la Parole de Dieu serait globalement imprescriptible. Dogme qui repose sur un postulat implicite, tout à fait discutable : que la Parole de Dieu est nécessairement consubstantielle à Dieu. Ce postulat a été théologiquement réfuté par certains des plus grands penseurs musulmans. C'est une thèse, qui a lentement pris corps en se confrontant à une thèse adverse, et qui n'a définitivement prévalu, à l'échelle du monde musulman, que plusieurs siècles après la mort du Prophète. Le présent essai rappelle brièvement le contexte historique dans lequel cette thèse s'est imposée, avant de démontrer qu'elle peut faire, au XXIe siècle, l'objet d'une réfutation nouvelle, dotée d'une cohérence, et d'une force d'évidence, qu'elle ne pouvait avoir il y a mille ans.
On trouve tout dans la littérature. Parce que les grands romanciers ont la lucidité des « voyants », comme le disait Rimbaud des poètes, la lecture de leurs romans aide à comprendre le monde.
Rien de mieux que La Tâche de Philip Roth pour traquer la montée du moralisme dans nos sociétés, La ferme des animaux de George Orwell pour saisir les dynamiques dévorantes de l'extrémisme, Meursault contre-enquête de Kamel Daoud pour traquer les catéchismes idéologiques, Sa majesté des mouches de William Golding pour décoder le populisme, Beloved de Toni Morrison pour interroger nos réécritures du passé, Le Hussard sur le toit de Jean Giono pour déchiffrer nos épidémies de la peur ou les Mémoires d'Hadrien de Marguerite Yourcenar pour ne plus jamais penser que la culture et notamment les livres ne seraient pas essentiels.
Cet essai riche et éclairant nous fait plonger dans près de vingt-cinq romans incontournables, des textes aussi merveilleux que L'Iliade et l'Odyssée d'Homère, Lady L. de Gary, Germinal de Zola, Ulysse de Joyce, Moby-Dick de Melville, Robinson Crusoé de Defoe ou La chute de Camus. Parce que ces grands livres offrent des clés insoupçonnées, ils deviennent autant de compagnons de route pour mieux lire notre époque.
Gourmand et passionné, Mathieu Laine nous convie ainsi dans les invariants de la nature humaine que seule la littérature permet de percevoir avec autant de finesse. Alors qu'on lit de moins en moins, ce livre donne terriblement envie de lire et de relire. Pour nous distraire mais aussi pour aiguiser notre esprit critique et nous garder des idées fausses. « Lisez pour vivre », disait Flaubert. Sans roman, la vie est impossible !
Février 33, un livre d'histoire pas comme les autres, revient sur les événements qui se sont déroulés pendant le mois de février 1933 en Allemagne. Hitler a été nommé à la chancellerie le 30 janvier, et les jours qui suivent vont décider du destin de l'Allemagne et de l'Europe tout entière. Nous savons aujourd'hui de quelle manière ces quelques jours ont changé la face du monde, mais Uwe Wittstock a choisi de les évoquer en se plaçant à la hauteur des personnes qui les ont vécus dans l'ignorance de ce qui allait suivre. Jour après jour, dans une dramaturgie bien maîtrisée, l'auteur restitue l'ambiance de tout un pays, en racontant ces quelques semaines qui ont fait basculer la démocratie de Weimar dans le IIIème Reich.
Le prisme choisi est celui des écrivains, journalistes et intellectuels, et les protagonistes du livre de Wittstock s'appellent donc Thomas, Heinrich, Klaus et Erika Mann, Bertolt Brecht, Erich Maria Remarque, Alfred Doblin. Ou encore Carl Zuckmayer, Else Lasker-Schüler ou Gottfried Benn. Chacun des protagonistes est introduit avec concision, par un rappel de son rôle public et de sa situation personnelle. Et Wittstock nous raconte comment chacun d'entre eux, dès le 1er février, se demande s'il est sur une liste, en tant que juif, communiste, homosexuel ou intellectuel engagé. Car l'étau se resserre très vite, et ce même avant l'incendie du Reichstag pendant la nuit du 27 au 28 février qui sonnera le glas des dernières libertés individuelles : la SA intimide tous ceux qui ne rentrent pas dans le rang, empêche les manifestations culturelles ou les premières dans les théâtres du pays autant que les réunions politiques. L'Académie des arts devient un autre enjeu symbolique, car il faut faire partir le « gauchiste » Heinrich Mann. Son frère Thomas est en tournée en Europe, pour sa conférence sur Wagner, et décide de ne pas rentrer. Klaus et Erika, empêtrés dans des histoires d'amour impossibles mais portés par le succès de leur cabaret satirique à Munich, veulent d'abord lutter de l'intérieur. D'autres, comme le poète Gottfried Benn croient que le nouveau régime leur apportera enfin la reconnaissance tant désirée. Mais tous seront pris dans la violence du nouveau régime. Les lois d'exception et le résultat des élections du 5 mars mettent un terme à cette période de transition que Wittstock raconte comme un roman à rebondissements.
Traduit de l'allemand par Olivier Mannoni
Deux grandes idéologies dominent nos sociétés occidentales : le déclinisme et le catastrophisme. Depuis le début du siècle, tous les événements semblent confirmer ce pronostic : le réchauffement climatique, le terrorisme islamiste, le coronavirus et, enfin, la guerre à l'Est de l'Europe de la Russie contre l'Ukraine.
Face à cette situation, la doxa veut que le seul recours raisonnable soit de réintégrer le foyer, dernier refuge et protection contre la sauvagerie. Mais la maison de nos jours n'est pas un simple abri, elle est bien davantage: un espace en soi qui supplante et remplace le monde, un cocon connecté qui rend peu à peu superflu toute percée vers le dehors. Depuis son canapé, on peut jouir par procuration des plaisirs qu'offraient jadis le cinéma, le théâtre, les cafés. Tout ou presque peut nous être livré à domicile, y compris l'amour. Pourquoi dès lors sortir et s'exposer ? A l'instar du héros de la littérature russe Oblomov, qui vécut couché et ne parvint jamais à quitter son lit pour affronter l'existence, allons-nous devenir des êtres diminués, recroquevillés et atones ?
Tout l'enjeu de cet essai est de dresser l'archéologie de cette mentalité du repli et du renoncement, d'en saisir les racines philosophiques et les contours historiques. Car jamais la tension entre le désir de vagabondage et le goût de la réclusion n'a été aussi forte. Et le confinement obligatoire, véritable cauchemar des dernières années, semble avoir été remplacé chez beaucoup par un auto-confinement volontaire. Fuite loin des villes, télétravail, condamnation du voyage et du tourisme, nous risquons de devenir des créatures de terrier qui se calfeutrent à la moindre secousse. Ce n'est pas la tyrannie sanitaire qui nous menace mais la tyrannie sédentaire : la pantoufle et la robe de chambre seront-elles les nouveaux emblèmes du monde d'après ?
Qu'ont en commun une guerrière et une sainte ? A priori, rien. Tout semble même les opposer. L'une serait du côté du Mal et du sang, l'autre du Bien et de la lumière. A cette idée, la représentation de Thérèse de Lisieux, proclamée en 1997 trente-troisième docteur de l'Église et sainte française la plus célèbre avec Jeanne d'Arc, semble donner raison. Bouquet de roses et crucifix entre les bras, voile sur la tête et guimpe autour du visage, sourire ténu, ainsi la connait-on. Comme une sainte, et non telle une guerrière. Ce qu'elle était pourtant. C'est le paradoxe que prétend dénouer ce livre. Car aimer son prochain est un combat (qu'on nomme spirituel), une lutte que Thérèse Martin aura menée sa vie durant. Et d'abord contre elle-même.
Dans cet essai biographique passionnant, Jean de Saint-Chéron retrace son existence pour faire, non l'éloge de la bonne soeur aux fleurs, mais celui de la sainte guerrière, et rappeler combien l'amour dont parle la Bible est « une glorieuse guerre ». En sept courts chapitres, on suit sa formation martiale, de son enfance marquée par sa vive piété, son caractère déterminé et la mort de sa mère, à sa conversion à 13 ans, lorsqu'elle comprend que, pour aimer, il lui faudra souffrir beaucoup. De Rome, où elle va conquérir la forteresse du Carmel à la pointe de l'épée en implorant le Pape de la laisser y entrer avant l'âge légal, à son entrée en religion parmi ses soeurs dont elle s'attèle à aimer les défauts, c'est un parcours du combattant qu'elle raconte dans ses écrits et que Jean de Saint-Chéron nous fait revivre en la suivant et la citant avec énergie, science et ardeur. Un éloge puissant et une leçon de foi moderne sur la bataille de l'amour et du pardon.
Ce texte d'hommage à Bertrand Tavernier est une magnifique ode à l'amitié entre deux hommes de générations différentes qui se reconnaissent dès leur première rencontre à l'Institut Lumière (que Tavernier présida de sa création en 1982 à sa mort en 2021) puis se tiendront la main jusqu'au bout, le cadet ne cessant d'admirer l'aîné comme un père, puis un grand frère.
Réalisateur, scénariste, producteur, cinéphile passionné, écrivain, d'une curiosité insatiable, fou de jazz et de littérature, acharné d'Amérique tout en restant fidèle à ses racines lyonnaises, d'une liberté de goût et d'allure sans pareille, d'un engagement sans concessions, Tavernier est un ogre.
Il a fait ses débuts comme assistant de Jean-Pierre Melville. Attaché de presse à plein temps de Stanley Kubrick, il lui envoie ce télégramme de démission : « En tant que cinéaste vous êtes un génie, mais un crétin dans le travail ». Autant dire que sa forte personnalité ne le prédisposait pas aux petits accommodements...
Rien ne sert d'égrener ici la liste de ses très nombreux films, documentaires, livres, qui lui valurent couronnes et lauriers dans le monde entier.
Car ce qui fait le coeur de ce livre est autre chose : restituer la mécanique intime d'un être de passion, se placer au plus près de lui, dans les coulisses, comme on filmerait le hors-champ de sa vie et de son image publiques ; montrer la place qui lui revient dans le paysage du cinéma français et dans la redécouverte du cinéma mondial ; analyser à travers lui la source des querelles esthétiques qui continuent de déchirer les grandes traditions de la critique cinématographique en France.
Anecdotes, portraits, scènes vécues, voyages en commun aux Etats-Unis et ailleurs : cet exercice d'admiration, ce « tombeau », cette biographie intime mêlée d'autobiographie, finissent par dessiner une vaste fresque collective, tant la fascination pour un être particulier à ce point avide du monde rejoint ici l'universel.
Un livre sur le roman soviétique, maintenant ? Précisément maintenant : comme le disait Romain Rolland pendant la Grande Guerre, ce n'est pas parce que les Allemands l'ont voulue que nous allons renier Goethe.
Qui plus est, quantité des écrivains que Dominique Fernandez, un des plus grands connaisseurs de la littérature russe (Dictionnaire amoureux de la Russie, Plon, 2004, Avec Tolstoï, Grasset, 2010), nous présente ici, ont été d'opposition à Staline, ou ont tourné la censure par le roman historique ou le roman de science-fiction.
Avec la chute de l'URSS, tout un pan de la littérature occidentale a été injustement effacé. Dominique Fernandez fait revivre pour nous les oeuvres et la vie des grands de la période (entre la Révolution et Khrouchtchev), de Gorki à Pasternak, en passant par Ehrenbourg, Babel, Paoustovski, Aïtmatov ou Alexeï Tolstoï.
Il nous rappelle aussi l'admirable moment littéraire qu'a engendré l'après-Révolution. S'opposant à une idée trop facilement reçue, il exhume du mépris où ils ont été plongés de grands auteurs du « réalisme socialiste ». La dictature a, par contrecoup, fait naître une fiction satirique que nous découvrons ici, comme les savoureux Olecha, Zochtchenko ou Ilf et Pétrov. Loin de réduire la littérature au silence, la tyrannie expie ses fautes par un des plus grands livres par lequel Dominique Fernandez achève le sien, Vie et Destin de Vassili Grossman.
Un livre de justice, un livre de savoir, un livre, aussi, de saveur.
Née dans l'euphorie de son prix Goncourt 1933 et sur un pari farfelu, pour reprendre un mot d'André Malraux, sa liaison avec Josette Clotis devient rapidement une passion - contrariée et d'autant plus flamboyante. La ravissante et jeune romancière, toute gauche qu'elle soit, est aussi une femme rebelle et tenace. Elle ne s'accommode pas de vivre à la marge du couple d'André et de Clara Malraux, laquelle la surnomme « la provinciale ». André et Josette vivent côte à côte plutôt qu'ensemble, voyagent, s'écrivent, s'aiment, ont deux enfants. La guerre ne désarme pas celle qui veut tout Malraux et tout de lui.
On ne savait à peu près rien de ce Malraux amoureux. Son enrôlement en 1940 comme soldat de deuxième classe dans une unité de chars à Provins en fait un épistolier malgré lui, attentif et protecteur, pudique et spirituel, toujours tendre envers Josette. Celle-ci, qui excelle dans l'écriture de soi, remplit depuis des années des cahiers secrets, jusqu'à sa mort tragique en 1944, les jambes broyées à la suite d'une chute d'un train. Elle y a consigné les soubresauts de leur relation, mais aussi ses désirs de femme affranchie, loin de la midinette capricieuse ayant capté Malraux à quoi on a trop souvent voulu la réduire.
Je pense à votre destin, fondé sur des archives inédites, fait le récit de cette passion qui n'a pas duré moins de douze ans. Il est suivi de trente-cinq lettres de Malraux largement inédites, de fragments issus des cahiers inédits et de projets de romans de Clotis où Malraux apparaît, ainsi qu'un cahier préparatoire de celui-ci, inédit lui aussi, aux Noyers de l'Altenburg, auquel il travaillait du temps de leur liaison. Tous contemporains, ces éléments racontent, chacun à sa façon, une histoire inouïe d'amour et de littérature.
Rappel : La Tentation de l'Occident d'André Malraux ainsi que les mémoires de Clara Malraux, en particulier Nos vingt ans, sont disponibles dans la collection Les Cahiers rouges.